Universitaire, enseignant chercheur, philosophe et analyste, syndicaliste et acteur politique, militant associatif et culturel… De son vivant (il a tiré sa révérence samedi dernier à Paris), Pr. Issa N’Diaye devait sans doute avoir souvent l’embarras du choix quant à la cassette à choisir pour honorer ses nombreuses sollicitations. Ce que notre génération retient de l’illustre disparu ce qu’il fut acteur incontournable du Mouvement démocratique qui a toujours préféré les geôles du régime militaire et du parti unique que de renoncer à ses convictions politiques. «Il a souvent fait face à l’adversité, arrêtés pour ses idées, mais jamais il n’a plié sous la pression. Sa détermination à défendre ses convictions est une source d’inspiration pour nous tous…», a témoigné Pr. Assadek Aboubacrine, enseignant-chercheur (Physique mathématique à l’Institut des mathématiques et des sciences physiques), quelques heures après l’annonce de sa disparition.
Et c’est fort naturellement que, avec l’avènement de la démocratie, le choix s’est porté sur Issa N’Diaye pour diriger le ministère de l’Éducation nationale de 1991 à 1992 et du ministère de la Culture et de la Recherche scientifique de 1992 à 1993. Il aurait pu occuper de nombreuses autres prestigieuses responsabilités dans notre pays s’il avait accepté de faire «profil bas» et s’accommoder de la direction du vent pour saisir les opportunités. Mais, il ne fut pas un cadre à se compromettre, à se dédire pour un poste.
Cette éminence grise, incomprise ou trop en avance sur son époque, est toujours fièrement restée à cheval sur ses convictions et sur les valeurs qui vont avec. «Le Professeur N’Diaye n’était pas seulement un éminent philosophe ; il était un fervent défenseur de la justice et un ardent combattant contre la mauvaise gouvernance. De toutes les luttes qu’il a menées, son engagement indéfectible pour un monde meilleur a marqué des générations», a témoigné Pr. Assadek Aboubacrine. Et d’ajouter, «avec une voix forte et une passion ardente, il a su éveiller les consciences et galvaniser les esprits, prouvant que la philosophie n’est pas seulement une discipline académique, mais un outil puissant pour le changement social». Souvent taxé «d’extrémiste aux positions rigides», ce grand intellectuel réputé pour son déconcertant franc-parler n’était pas dans le quiproquo car assumant sans ambages et sans crainte ses positions, quitte à avoir tout le monde contre lui.
On comprend alors aisément qu’il ait toujours été très critique à l’égard des régimes qui se sont succédé à Koulouba depuis l’avènement de la démocratie. «Silence, on démocratise» et le «Festival des brigands» (deux ouvrages publiés en 2018 aux éditions La Sahélienne abordant la thématique : Démocratie et fractures sociales au Mali) se veulent «un choix de ses écrits les plus marquants sur le processus de démocratisation au Mali depuis les derniers moments de la dictature de Moussa Traoré (renversé par un vaste mouvement insurrectionnel le 26 mars 1991 et décédé le 15 septembre 2020) aux années 2010 marquées par les échecs de la classe politique et des atteintes profondes à la souveraineté nationale).
Les maux de la société peints avec précision et impartialité
Acteur politique et témoin attentif de l’histoire contemporaine du Mali, Pr. N’Diaye avait le don de décrire voire de diagnostiquer les maux de la société et de la nation maliennes avec la précision du praticien endurci. «Si nous ne faisons pas attention, ce pays risque de voler en éclats. Parmi nos éléments de diagnostique, nous avons constaté que la société civile pose problème, elle s’est politisée, les religieux ont pris des attitudes politiques, les chefferies et légitimités traditionnelles aussi ont failli à leurs missions», déplorait-il dans l’une de ses «Tribunes». Et de proposer, «si nous voulons soigner ce pays, il est important de bâtir une nouvelle société civile avec comme fondement qu’elle ne soit affiliée ni à l’Etat, ni a un parti politique ; une société civile indépendante». Mais, l’éminence grise était aussi consciente qu’aucune des solutions préconisées ne pouvait porter ses fruits sans que le Malien ne change de mentalité, de comportement.
«Le problème n’est pas seulement le pouvoir d’Etat, c’est aussi et surtout le Malien lui-même. Il faut arriver à le changer. Pas évident ! Tant que l’appât du gain facile restera la base de la philosophie du citoyen ordinaire, rien de bon ne se fera dans le pays. Tant que le mensonge, l’hypocrisie, la cupidité, la fourberie et la méchanceté resteront au cœur de la citoyenneté, il n’y a rien à espérer», préconisait-il en avril 2022. «Les écrits du Professeur N’Diaye décrivent les combats d’hier et d’aujourd’hui pour éclairer ceux de demain. Ils mettent en lumière les obstacles à surmonter et les luttes à engager. Issa N’Diaye doit-il être considéré comme un lanceur d’alerte ?», s’est interrogée «La Fondation Gabriel Péri» qui a soutenu la publication des deux tomes des ouvrages évoqués plus haut. «Les sujets qu’il aborde sont multiples ; il appuie toujours là où le Mali a mal pour réveiller les consciences, donner des arguments et engager l’action», a-t-elle conclu.
«Le Professeur Issa N’Diaye n’est plus. Ses idées, ses convictions, ses analyses lui survivront et montreront le chemin à la jeunesse…», écrit Françoise Wasservogel pour lui rendre hommage. Et cela à condition que, dit Pr. Aboubacrine Assadek, que les nouvelles générations s’engagent à poursuivre son œuvre, à porter haut ses idéaux et à faire vivre sa mémoire à travers toutes leurs actions, surtout celles censées servir de fondation au Mali Kura en chantier. Toujours est-il que, a précisé ce dernier, «ses écrits mobilisateurs, empreints de lucidité et de passion, continueront à résonner dans les esprits et à nourrir les luttes pour la justice et la dignité». Autrement, l’héritage de cet intellectuel de conviction et de devoir continuera de «guider et d’inspirer les générations futures». Il nous laisse en tout cas une belle réputation d’homme très compétents, humble, sociable et surtout très intègre ! Va en paix Professeur !
Moussa Bolly
Source: Le Matin
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