Abdoul Cabral

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( LE CONTEXTE :

le régime du Général Moussa Traoré ( GMT), au pouvoir depuis le coup d’Etat du 19 novembre 1968, est confronté à une crise politique née d’une contestation sans précédent des élèves et étudiants à Bamako et dans tout le pays.

Grèves et manifestations violentes se succèdent non seulement dans la capitale mais aussi à l’intérieur, notamment à Ségou.

Réuni en Conseil National en janvier 1980, le parti unique constitutionnel (l’UDPM) décide la dissolution de l’ UNEEM.

Cette décision met le feu aux poudres, ravive les tensions: les manifestations se poursuivent.

Après les grandes grèves de 1977 violemment réprimées, l’UNEEM se restructure à partir de la rentrée 1977-1978.

Modibo Diallo, étudiant en 3ème année Histoire et Géographie à l’École Normale Supérieure ( ENSUP) est élu au cours du premier congrès, Secrétaire Général d’un nouveau Bureau de Coordination.

Le deuxième congrès, tenu les 26-27 et 28 décembre 1978 élit comme Secrétaire Général du syndicat, Tiébilé Dramé, 23 ans, étudiant en en 4 ème année, Lettres Modernes.

Le 3 è congrès s’est tenu, après la dissolution, dans la clandestinité, le 17 février 1980. Abdoul Karim Camara dit Cabral, 25 ans, étudiant en 4 è année de philosophie est élu nouveau Secrétaire Général du syndicat étudiant.

Un mois après, le 17 mars 1980, dans la matinée, il s’est effondré au cours d’un passage à tabac au camp des commandos parachutistes de Djikoronin.

Les tentatives de le ranimer sont restées vaines.

Il venait d’être transféré du commissariat de police de la Poudrière où il avait passé la nuit.

La hiérarchie présente sur les lieux a mobilisé, outre l’ambulance, l’infirmier-major du camp et un inspecteur de police travaillant pour la Sécurité d’État qui enquêtait sur les événements en cours dans la ville de Bamako.

Plusieurs élèves et étudiants ainsi que des professeurs avaient été interpellés, interrogés et battus suite aux manifestations organisées par l’UNEEM depuis des semaines. Parmi les élèves et étudiants détenus : Daouda Bamba, Mamoutou Thiam « Tchangfé », Madina Sanogo, Mamadou Wisiki Keïta, Mamadou Bâ Dallanté…

Parmi les enseignants: Victor Sy, Vézéro, Mamadou Lamine Traoré, Moussa Makan Camara, Tiébilé Dramé……

La conférence-débats initiée par le nouveau bureau de coordination de l’organisation étudiante, le 6 mars 1980 dans l’amphithéâtre de l’École normale supérieure ( ENSUP), a été un tournant dans la confrontation étudiants-gouvernement.

Le thème était:  » classes et luttes de classes au Mali « .

Le conférencier initialement approché par l’ UNEEM (un ancien responsable de l’organisation) et qui avait marqué son accord s’est désisté deux jours avant en raison de la vive tension qui régnait dans les écoles.

C’est ainsi que Cabral vint me trouver au domicile de mon frère aîné à Hamdallaye-Frontière quelques heures avant la conférence pour me demander de remplacer le camarade désistant.

À cette époque, nous n’hésitions longtemps pour prendre une décision. Nous ne prenions pas beaucoup d’avis avant de décider. J’ai donné mon accord pour animer la conférence qui allait commencer quelques heures après.

Je le vois encore repartir, sourire aux lèvres, sur sa mobylette CT, vêtu d’un « Kobila-nyèbila » et coiffé du bonnet d’Amilcar Cabral, héros et martyr de la liberté de l’Afrique, assassiné à Conakry, en janvier 1973, par des suppôts du colonialisme.

Nous nous sommes retrouvés, en début de soirée, à l’entrée de l’amphithéâtre de l’ENSUP, siège de la conférence.

Les débats furent intéressants et passionnés.

Concluant les échanges, j’ai déclaré qu’en raison des circonstances que le pays traversait l’ étape de la lutte du peuple malien était  » la révolution nationale démocratique et populaire « ( RNDP)!

La chasse à l’homme et les arrestations commencèrent peu après la clôture des débats, tard dans la nuit.

Plusieurs leaders étudiants dont Cabral entrèrent en clandestinité.

Sa mère BaCoumba, sa sœur Mariam et certains de ses frères présents à Bamako furent interpellés et détenus aux commissariats de la Poudrière et du 1er arrondissement.

Ils n’ont été libérés qu’après que Cabral fût arrêté à Ballan-Massala (au sud de Bamako), le 16 mars, et emmené à la Poudrière.

Il passa la nuit à la Poudrière. Le lendemain, 17 mars au matin, il a été transféré au camp de DJikoronin et remis à un

 » comité d’accueil  » ad hoc spécialisé dans la torture des élèves, étudiants et professeurs: sacs remplis de cailloux et de morceaux de fer au dos, bastonnade à coups de ceinturons, brodequins, gourdins….. tout y passait…

C’est au cours de cet exercice que Cabral tomba pour ne plus se relever .

Toutefois, dans une vidéo non datée, le général -président Moussa Traoré a donné une version de la mort de Cabral qui ne cesse d’intriguer.

 » La mort de Abdoul Karim Camara m’a affecté, je ne le connaissais pas, je ne savais pas qui il était avant qu’on ne m’ ait annoncé sa mort, c’est malheureux et c’est très regrettable.

L’ officier chargé de la sécurité et du maintien d’ordre m’a informé qu’il est mort d’épuisement.

Il a été saisi à la frontière de la Guinée et ramené et il est mort

d’ épuisement.

J’ai dit:  » c’est comme ça ? Devant témoins, beaucoup de témoins présents….

J’ai dit « c’est comme ça ? »

Il a dit: « c’est comme ça, il est mort d’épuisement.

Il est d’une faible constitution. Il a fait des cavalcades. Quand on l’a rattrapé, il était épuisé. Il est mort d’épuisement.

Je crois en ce que l’officier m’a dit. S’il m’ a menti, il ne mentira pas devant Dieu ».

(Les confessions du Général Moussa Traoré sur la mort du Secrétaire Général de l’UNEEM, Abdoul Karim Camara dit Cabral.

CABRAL N’EST MORT NI D’ÉPUISEMENT, NI À LA FRONTIÈRE …

Dans un célèbre « poyi » déclamé alors qu’il était, en 1980, Secrétaire Général de l’Association des étudiants et stagiaires maliens en France ( AESMF), l’ historien Drissa Diakité (1951-2022) s’est exclamé :

 » N balimaaw…

A toora cooron koro,

Sorodasiw ka cooron koro!

Cooron koro!

Sorodasiw ka cooron !

Kunba Kamara denkenin toora cooron koro!

Sorodasiw ka cooron koro!

N balimaaw……!

( Chers compatriotes,

il est mort sous les bottes!

sous les bottes des militaires !

le jeune garçon de Kunba Kamara est mort sous les bottes,

sous les bottes des militaires,

Chers compatriotes…..)

Contrairement au GMT et

à l’ officier de sécurité qui lui a fait rapport, le Professeur Drissa Diakité a évoqué ce qui est arrivé le le matin du 17 mars 1980 au camp des commandos parachutistes de Jikoronin.

Comme indiqué plus haut, le Secrétaire Général de l’UNEEM avait passé la nuit du 16 au 17 mars au commissariat de la Poudrière à Bolibanna, à 100 mètres du domicile familial.

Dès son arrivée au camp Para, le « comité d’accueil » a aussitôt commencé à le torturer.

Quand il est tombé, il a réclamé de l’eau pour boire.

Informé par l’Inspecteur de Police, le commandant-directeur de la Sécurité d’État a ordonné son transport à l’hôpital Gabriel Touré.

L’ambulance du camp a été affrétée à cet effet.

L’ Inspecteur de Police et

l’ Infirmier-major du camp, ont porté Cabral sur une civière qui a été introduite dans l’ambulance.

Est-il mort en faisant le tour du terrain de basket, haut lieu du passage à tabac, au moment où il est tombé ? Est-il décédé au cours du transfert vers l’ hôpital? Toujours est-il qu’à l’arrivée aux urgences de l’hôpital Gabriel Touré, le médecin-chef, le Dr Moctar Diop et son interne, le futur professeur Alwata, ont fait le constat des coups et blessures, et ont conclu que le corps était sans vie: « ramenez-le là où vous l’avez pris! » crie le Docteur Diop.

De retour au camp, l’ Inspecteur de la Sécurité d’État informe son patron qui se rend à la Maison du Peuple pour rendre compte au Général Moussa Traoré ( GMT) des événements de la matinée.

Ce dernier avait reçu l’information de ses antennes à l’hôpital Gabriel Touré.

De retour de la présidence, le chef d’escadron dit à l’Inspecteur:

« Moussa t’en veut »..
« Pourquoi ? »
« Tu as décliné l’identité du défunt aux médecins de Gabriel Touré! Retourne les voir pour leur demander de fermer leur gueule! »
L’ Inspecteur retourne à Gabriel Touré et transmet cet ordre au Docteur Alwata.

Trop tard. Les étudiants en médecine qui étaient en stage ce jour avaient propagé la nouvelle qui s’est répandue en ville comme une traînée de poudre….

Ce jour-là, Bamako est entrée en ébullition….

Ce même 17 mars, après le petit-déjeuner, notre groupe de détenus avait été conduit à l’infirmerie du camp pour panser nos plaies consécutives aux violents passages à tabac subis à l’arrivée. Nous attendions notre tour de passer devant les soignants, quand un jeune militaire en tenue kaki et portant une culotte est venu chuchoter à l’oreille de Victor Sy: « Papa, Cabral est venu. On l’a tué »!

Quelques minutes plus tard, sur des instructions fermes, nous avons été redirigés vers nos cellules sans pansement de nos blessures.

Ayant séjourné six mois au camp Para, en 1977, j’ai reconnu les lieux et quelques silhouettes.

En rejoignant les cellules, j’ai aperçu au niveau du bureau de

l’ Adjudant de Compagnie, l’ambulance du camp, l’infirmier-major de la garnison et l’ inspecteur de police qui s’affairaient autour d’une civière…..

Sous la véranda, au seuil de nos cachots, nous avons croisé la détenue Madina Sanogo (UNEEM-lycée Sankoré) qui nous a dit:

 » Cabral et Kia ( Rokia Kouyaté, Secrétaire Générale du comité UNEEM du lycée de jeunes filles) sont arrivés, ils ont été sévèrement battus ».

Nous avons été aussitôt enfermés dès la mi-journée du 17 mars.

Réveillés dans la nuit du 17 au 18 mars pour embarquer dans des camions qui nous ont emmenés à l’aéroport d’Hamdallaye où un avion militaire attendait, moteur en marche.

Direction : Gao.

En débarquant de l’avion, le 18 mars au matin, des camions Zil nous ont emmenés à Kidal dans la nuit du 18 au 19 mars.

De là, Victor Sy, Vézéro et moi avions été acheminés et détenus au poste militaire de Boughessa dans les montagnes de l’Adrar, à partir du 20 mars.

LA CHASSE À CABRAL :

Dès le lendemain de la conférence du 6 mars, le GMT et sa police avaient lancé une véritable chasse à l’homme pour retrouver et arrêter Cabral.

D’inédites méthodes

d’ intimidations et de pressions avaient été exercées sur sa mère BaCoumba, sa sœur Mariam et ses frères.

La chasse à l’homme s’amplifia à partir du 10 mars pour le retrouver Sa mère, sa sœur, ses frères Cheikh Adramine, Zakaria ont été arbitrairement incarcérés à la Poudrière. Madou Douba Camara, un autre frère, a été interpellé par le commissariat du 1er arrondissement au centre-ville.

Entré en clandestinité, Cabral s’était d’abord caché dans le quartier de Djikoronin-Para chez son cousin Kaba Camara. Ce dernier l’a, par la suite, confié à Kolon Camara qui l’a hébergé à Ballan-Massala à quelques kilomètres de la route Naréna-Kourémalé.

C’est dans ce village que des policiers de Bamako arrivèrent le 16 mars 1980 et emmenèrent Cabral au commissariat de la Poudrière à Bamako.

L’ ÉNIGME DE LA TOMBE DE CABRAL

Quarante cinq ans après sa mort sous la torture, au camp des parachutistes de Djikoronin, le lieu où Cabral a été inhumé reste un mystère non encore élucidé.

Pendant les journées chaudes de mars 1980 qui ont suivi le décès du leader estudiantin, le général Moussa Traoré , la direction du parti unique, les responsables militaires et sécuritaires d’alors ont choisi de dissimuler à la famille, à ses camarades et au pays le lieu où le corps de Cabral a été enterré.

Trois années auparavant, le corps du premier président de la République, Modibo Keïta, mort en détention, le 16 mai 1977, avait été remis à son frère aîné, le Docteur Mallé Keïta, et des obsèques publiques avaient été organisées par sa famille et ses compagnons. Durant la procession, des slogans hostiles au président Moussa Traoré et au comité militaire avaient été lancés par les manifestants dont de très nombreux élèves et étudiants.

Le régime a t-il craint une répétition des funérailles de mai 1977?

Toujours est-il que le corps de Cabral n’a été remis ni à sa famille ni à ses camarades ni aux femmes du Mali qui ont manifesté pendant des jours pour réclamer la dépouille du jeune leader estudiantin.

C’est au lendemain de la révolution démocratique, après la chute du GMT, en mars 1991, que les premières informations officielles relatives à la localisation de la dépouille de Cabral ont commencé à fuser.

Pendant la Conférence Nationale, le 7 août 1991, un sergent du camp

Para a conduit membres de la famille, amis et camarades au cimetière de Lafiabougou (Ouest de Bamako) et a indiqué un endroit qu’il avait repéré à l’aide d’un vieux bol en fer qu’il a dit avoir déposé sur la tombe, dans la nuit du 17 au 18 mars 1980 pour en faciliter l’identification.

Mais le rapport du maçon chargé par BaCoumba d’aménager la tombe suscita les premières réserves: « il n’ya pas de restes humains dans la tombe que j’ai arrangée ».

Depuis, a famille Camara et l’ Amicale de l’UNEEM ont décrédibilisé la tombe montrée par le sergent parachutiste.

Où a été enterré, le 17 ou le 18 mars 1980, le Secrétaire Général de l’UNEEM?

En mars 1980, pendant que les femmes de Bamako, les élèves et étudiants manifestaient pour réclamer au Président Moussa et à la direction de l’UDPM ( le parti unique d’ État d’alors le corps de Cabral, plusieurs hypothèses circulaient:

« l’antonov de l’armée de l’air qui a fait plusieurs rotations vers Gao pour déporterélèves et professeurs a emporté dans ses soutes le corps du dirigeant étudiant… »;
« Cabral a été inhumé à Djébock » selon le témoignaged’un directeur d’école de cette localité.
Une autre thèse soutient que le 17 mars des militaires du camp Para ont été chargés d’inhumer Cabral quelque part dans les environs de Bamako .

Quarante cinq années après sa mort, il conviendrait d’ouvrir les archives de la Sécurité d’ État et du ministère de La Défense (camp Para) pour édifier l’opinion.

Abdoul Karim aurait eu 70 ans, le 2 juillet prochain… sans la méchanceté des hommes…. sans la brutalité d’un régime.

Tiébilé Dramé.

Sources:

1- Victor Sy ;

2- Tanba Jigifa D;

3- Drissa Diakité ;

4- Moussa Camara, frère cadet de Cabral;

5- Boris Kanté, voisin, ami d’enfance et camarade de classe de Cabral à l’ école fondamentale de de la Poudrière ;

6- S. A. M. Inspecteur de police à la retraite, témoin des événements du matin du 17 mars 1980;

7- version du Général Moussa Traoré : vidéo non datée ;

8- Dr Kaourou Doucouré;

9- Mamoutou Tchangfé Thiam;

10- récits de témoins oculaires.

« SARAFO

Abdul Karim! Ee! Kamarakɛ!… Funankɛ kulusitigiw ɲɛkun,

Fàso ɲɛtaakulu dànkelen,

Jonjon tàdon dànseere,

Jìgikɛnɛw ka janjonba sigidoolo, Tacyɛnbilisi kùnba cìbaa daba farabaa, Zantɛgɛba dannajugu bosobaa ŋana, Ka kalo wɔɔrɔ ʃi Wulajanna

Ni taasi mɔɲɔnba,

Ni dusukun marafa,

Wulajanna donso ŋana,

I ni ‘wula!

Jigiya tɔgɔtigi, Sarafo! E Ko de: Tacyɛnsɛrɛ halakili,

A Dya an jìòli ka Woyo;

Fo fàsojama ka Sewa de!

Ee! Bɛrɛya jìgi cɛbalenw,

Sinin maʃibafɛlɛ ŋana kùnfɔlɔw,

A’ m’a Ye, Kamarakɛ jòli bɔnnen Bɛ ka sankolo Sɛbɛn ka Taa kuday, Ko galakaɲimiw m’u wolonugu To, U tɛ baŋe To, tacyɛnsɛrɛw don.

Ko maadunw m’u jìgi To,

U tɛ sigi To, ʃiban-samakorow don. Ko sarakaw m’u fàʃu kùnsɛmɛ To, U tɛ fàso To, f’u kùncidon.

Stiiw Biko tɔgɔma,

Amilkar Kabral tɔgɔma,

Jìgiya tɔgɔtigi, Sarafo Ko de: Tacyɛnsɛrɛ halakili,

A Dya an jòli ka Woyo;

Fo fàsojama ka Sewa de!

Fasan ni barika, kolonya ni kisɛya, ʃudibi ni yeelen, mɔnɛ ni sewa,

Jahiliya ni ladiriya, Yuruya ni tlennenya, Kùntanya ni bɛrɛya, ntanya ni wasa, ʃùw ni ɲɛnɛmaw, yuruw ni kabralun, Aa! Abdul Kabral, jɛɲwaanya sunsun, O sɛrɛkɛlɛ cɛsiri, i ‘jo!

Kamalen kɛnɛ, kolo kɛnɛ, byɛn kɛnɛ, Kun kɛnɛ, galabu kɛnɛ, jìgi kɛnɛ,

E de jòli woyolen ka jìgi forobaw Sɔn. Bi ani ɲɛtaa dusu sankala,

Sinin ani sewa ɲɛji sanji.

Jigiya dawulatigi, Sarafo Ko de: Tacyɛnsɛrɛ halakili,

A Dya an jòli ka Woyo;

( Poème dédié à Cabral, composé par Tanba Jigifa Dukuré dit Vézéro, à sa libération, en avril 1980, du camp de Boughessa).

 

Le Républicain

Source: bamada