Liée au Gouvernement du Mali par une convention en date du 05 mars 1996, avec pour objet la concession en exclusivité, sur toute l’étendue du territoire national, du service public relatif à la fourniture de plaques standardisée réglementaires et emboutissage de caractères d’immatriculation des véhicules, la société Yattassaye-Fils est en passe, si ça n’est pas déjà le cas, d’être reléguée au mépris de ses droits et de la réglementation en vigueur.
Cela, malgré une exécution des prestations en conformité avec ses obligations contractuelles, dans un contexte administratif souvent difficile et dans des conditions économiques ayant considérablement fluctué sans être prises en compte sous forme de mise à niveau de certains aspects de la concession.
Approchée par nos soins, l’administration de ladite société ne cache nullement son intention d’ester devant les juridictions compétentes aux fins d’annulation d’un certain décret de ré-attribution du marché à ses dépens. Entre autres raisons évoquées, elle pointe du doigt l’inexactitude des motifs évoqués pour justifier la fin de la convention entre elle et l’Etat malien, l’illégalité de la procédure de passation du marché par entente directe et l’artifice de maquillage juridique d’une délégation de service public en contrat de marché public. Ça n’est pas tout. La société Yattassaye et Fils dénonce aussi le détournement de pouvoirs par le ministère des transports ainsi qu’une irrégularité dans la notification de la fin de la convention du 19 avril 2013 sur la base de laquelle le département en charge des transports procède à un nouvel appel d’offres en violation des clauses contractuelles en rapport avec les motifs susceptibles de provoquer la résiliation.
Qu’en disent la convention et le cahier des charges ?
Comme tout contrat, la convention liant la société Yattassaye-Fils à l’Etat malien prévoit le droit du concédant à sa résiliation sans aucun préjudice en cas d’inobservance ou de transgression par le concessionnaire des clauses et du cahier de charges constatée après mise en demeure restée sans effet dans un délai de trente (30) jours. Le concédant peut tout aussi résilier la convention si par négligence, incapacité ou mauvaise foi, le concessionnaire compromettait l’intérêt général, la qualité ou la continuité du service public concédé. Et l’article 18 de mentionner la possibilité de déchoir le concédant «sans indemnités en cas de sous-traitance de tout ou partie du service concédé, d’abandon du service concédé, de fraude ou de malversation ou s’il est déclaré en faillite ou mis en liquidation judiciaire, et si, il n’est pas autorisé par le tribunal à poursuivre l’exploitation». Quant au retrait et à la suspension de l’agrément technique, ils sont prévus dans le cahier des charges et n’interviennent que lorsque le titulaire procède à l’emboutissage et à la fixation de faux numéros sur des véhicules ne disposant pas de documents légaux délivrés par les autorités compétentes.
Seulement voilà : en 28 ans, la société prestataire dit n’avoir jamais été prise en défaut sur ses obligations contractuelles. «Nous avons respecté notre part de contrat», nous a confié le DG de Yattassaye et Fils, tout en s’indignant d’une résiliation de son contrat au mépris des clauses contractuelles et du cahier des charges.
En tout état de cause, dans sa lettre 174/MTI-SG en date du 26 juillet 2022, adressée à la société, la tutelle n’avance nullement une défaillance contractuelle. Et, malgré un mémorandum adressé à la tutelle en guise de protestation contre ses intentions de résilier la convention, le conseil des ministres, par décret N° 2023-0672/PT-RM du 15 Novembre, va approuver le marché d’appel d’offres relatif à la fourniture des équipements pour la fabrication des plaques d’immatriculation. Alors qu’on s’attendait à ce que la fabrication revienne désormais à l’Etat malien, elle sera curieusement confiée à une société allemande.
Quid de la passation dudit marché par entente directe à hauteur de 3,5 milliards ?
Quand bien même l’arrêt N° 335 de la Cour suprême du 24 octobre 2013 avait déjà sanctionné ces irrégularités, l’autorité de tutelle et la direction générale du contrôle des marchés se sont totalement affranchies du respect de la norme juridique. En effet, au mépris du code des marchés publics, les pouvoirs publics ont fait le choix d’une entente directe d’un montant de 3,5 milliards. Et curieusement, dans tout le rapport de présentation de cette procédure de passation, il n’est fait cas d’aucun motif de recours à l’entente directe. Et aux yeux de la société Yattassaye-Fils, ledit appel d’offre par entente directe, en plus de jurer avec la procédure en la matière, est entaché d’irrégularités relevées et sanctionnées par l’arrêt N° 335 du 24 octobre 2013, sur fond de violation des clauses de la convention entre Yattassaye-Fils et l’Etat malien ainsi que de son cahier des charges. S’y ajoutent par ailleurs une mauvaise définition des besoins et une signature du marché qui ignore allègrement les prescriptions légales en matière de compétence.
En effet, aux termes de l’article 58.2 du décret n°2015-604/P-RM du 25 septembre 2015 portant Code des marchés publics et des délégations de service public, un marché est conclu par entente directe «lorsque les besoins ne peuvent être satisfaits que par une prestation nécessitant l’emploi d’un brevet d’invention, d’une licence ou de droits exclusifs détenus par un seul entrepreneur, un seul fournisseur ou un seul prestataire, dans le cas d’extrême urgence, pour les travaux, fournitures ou services que l’autorité contractante doit faire exécuter en lieu et place de l’entrepreneur, du fournisseur ou du prestataire défaillant; dans le cas d’urgence impérieuse motivée par des circonstances imprévisibles ou de force majeure ne permettant pas de respecter les délais prévus dans les procédures d’appel d’offres, nécessitant une intervention immédiate, et lorsque l’autorité contractante n’a pas pu prévoir les circonstances qui sont à l’origine de l’urgence; lorsqu’il ne peut être confié qu’à un prestataire déterminé pour des raisons techniques ou artistiques ».
En effet, la première condition du recours à l’entente directe est que ce type de procédure peut être engagée « lorsque les besoins ne peuvent être satisfaits que par une prestation nécessitant l’emploi d’un brevet d’invention, d’une licence ou de droits exclusifs détenus par un seul entrepreneur, un seul fournisseur ou un seul prestataire ». Incontestablement, il est certain que les plaques d’immatriculation de véhicule et les équipements pour les plaques sont des produits courants ne nécessitant pas la détention d’un brevet d’invention, d’une licence ou de droits exclusifs que détiendrait l’entreprise étrangère retenue. La société EHA Hoffman International Gmbh répondait-elle à ces critères, en définitive ? Vraisemblablement est négative, selon son la société Yattassaye-Fils dont l’administration «s’appuie sur une panoplie de fournisseurs-fabricants dont au minimum trois (3) autres groupes allemands présents sur le marché depuis des dizaines d’années, avec une expertise reconnue dans le secteur, en dehors même du Mali». Une autre condition du recours à l’entente directe c’est qu’elle pouvait se justifier par «l’extrême urgence, pour les travaux, fournitures ou services que l’autorité contractante doit faire exécuter en lieu et place de l’entrepreneur, du fournisseur ou du prestataire défaillant ». Or, en l’espèce, aucune défaillance dans la fourniture des plaques ne peut être retenue contre la société Yattassaye-Fils. Depuis 1996, les missions de contrôle diligentées sur la concession ont plutôt relevé des manquements du côté de l’Etat, tandis que du côté du concessionnaire une interruption du service public n’a jamais été relevée encore moins de plaintes d’usagers. La troisième condition posée par le texte pour justifier le recours à l’entente directe est « le cas d’urgence impérieuse motivée par des circonstances imprévisibles ou de force majeure ne permettant pas de respecter les délais prévus dans les procédures d’appel d’offres, nécessitant une intervention immédiate, et lorsque l’autorité contractante n’a pas pu prévoir les circonstances qui sont à l’origine de l’urgence». On ignore jusqu’ici la nature de l’urgence ayant pu pousser la tutelle à opter pour un appel d’offres par une entente directe, une procédure susceptible par ailleurs de s’imposer lorsqu’un marché «ne peut être confié qu’à un prestataire déterminé pour des raisons techniques ou artistiques». Il semble que ces conditions n’étaient pas non plus réunies, d’autant que la fourniture de plaques d’immatriculation est assurée depuis 1996 par la Société Yattassaye-Fils, en conformité avec les exigences de ses cahiers des charges.
En outre, s’il ne s’agissait que d’un besoin de modernisation et de sécurisation des plaques, il est rappelé ce qui suit : déjà en octobre 2018, la Société Yattassaye-Fils, soucieuse d’une bonne exécution de la convention et de l’efficacité du service public, avait pris l’initiative de son propre chef d’échanger avec les services techniques de la tutelle aux fins de proposer des solutions techniques de modernisation et de sécurisation des plaques par l’introduction de signes distinctifs, l’instauration d’un système d’identification holographique des véhicules, etc. Ces propositions, suffisamment détaillées, avaient été acceptées par l’autorité de tutelle tel qu’en atteste la lettre n°0138 MT-SG du 08 novembre 2018. Au demeurant, ce sont vraisemblablement les mêmes propositions qui ont été ré-utilisées au mépris du plan juridique et commercial.
Seulement voilà : c’est sur le même décret n°2015-604/P-RM que le ministère comme fondement pour passer ledit appel d’offre ms par entente directe, avec la bénédiction de la Direction Générale des Marchés Publics et des Délégations de Service Public (DGMP-DSP) à travers son avis de non objection par lettre n°01919 -DGMP-DSP du 03 juillet 2023.
Amidou Keita
Source : Le Témoin
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