Il ressort des compte-rendu de la rencontre entre le nouveau chef du gouvernement et la classe politique portant sur la révision des listes électorales, les réformes politiques et institutionnelles et l’organisation des élections, tenue le jeudi 05 décembre 2024, que des menaces, à peine voilées ont été adressées aux partis politiques.
En répondant à une question qui lui a été adressée dans le cadre d’échanges interactifs avec les partis politiques, le Général de division premier ministre et non moins ministre en charge de l’administration territoriale et de la décentralisation a affiché une sorte d’autoritarisme en fustigeant le nombre pléthorique des partis politiques, leur gouvernance et le financement de leurs activités. « Le nombre de partis politiques au Mali est intenable, …et la relecture de la charte des partis politiques va faire mal». Quand l’hôpital se moque de la charité, nous demandons au tout-puissant ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation de balayer d’abord devant sa propre porte, de faire le ménage dans sa chapelle, en s’éloignant de ce genre de sorties hasardeuses et maladroites.
Alors que nous pensions sortir lentement de la crise sociopolitique créée de toutes pièces par le quarteron des ex-colonels, avec la libération « sans condition » des onze leaders politiques, la rencontre avec les partis politiques ponctuée de leçons de morale distillées en vue de la réduction du nombre des partis politiques pourrait plonger le pays encore plus profondément dans l’instabilité. Car, pour un premier ministre parvenu au pouvoir par les armes, il est malséant d’opiner sur la gouvernance des partis politiques dont la raison d’être est de conquérir et d’exercer le pouvoir d’Etat par la voie des urnes. De surcroît, pour quelqu’un qui était récemment ministre d’Etat en charge de l’administration territoriale et de la décentralisation a délivré en moins de deux ans, plus de 100 nouveaux récépissés de création de partis politiques. Le ridicule ne tue plus dans ce pays. Le ridicule se mue en inquiétude quand l’auteur de l’acte ridicule est un officier supérieur de l’armée nationale qui doit avoir du respect pour sa parole d’honneur, en évitant des propos d’horreur. Ainsi, si rien n’est entrepris pour arrêter cette série de films de mauvais goût, nous assisterons au déclin progressif de notre démocratie acquise dans le sang et régulièrement remise en cause par certains militaires assoiffés de pouvoir. Nous serons réceptifs pour durcir les critères de création des partis politiques et changer leur mode de fonctionnement, mais fermement opposés à toute formule unilatérale de réduction de leur nombre. La charte des partis politiques en vigueur est assez précise là-dessus, mais c’est le laxisme ambiant au ministère de l’administration territoriale et de la décentralisation qui favorise l’explosion exponentielle du nombre de partis politiques. Quand le militaire veut faire de la politique, il se fourvoie en se découvrant piteusement…
Nous avons observé passivement des attaques contre l’organe de gestion des élections en le dépouillant intelligemment de ses pouvoirs au profit de l’administration publique, les médias et des institutions nationales des droits de l’homme, et comme excuse ils nous ont enfilé les pompeuses expressions « souveraineté », et « sécurisation du territoire national ».
Ce genre de discours condescendants et autocratiques face à des hommes politiques de grande valeur alimente la méfiance envers les institutions, dénote du cynisme des institutions, du manque de responsabilité du gouvernement ou de son premier ministre, et ne fait qu’éroder davantage la confiance entre les acteurs qui doivent œuvrer à l’apaisement du climat sociopolitique. Le manque de confiance dans les représentants des institutions à ce niveau de responsabilité étatique peut fournir un terrain fertile aux dirigeants et aux mouvements populistes, qui en profiteront pour rejeter toute la faute sur « la démocratie en construction dans notre pays». On ne connaît pas de réelle démocratie sans partis politiques, sans liberté d’expression, d’opinion et d’association. On reconnaît, à l’inverse, un régime autoritaire dissimulé sous une apparence de démocratie au fait qu’il contrôle étroitement les partis politiques, qu’il dissout ou interdit certains d’entre eux, ou qu’il impose l’existence de certains partis politiques à sa convenance, réduisant ainsi à néant les prérogatives accordées à un éventuel parlement, temple de la diversité d’opinions et d’idéologies. Aucune recommandation d’une assise fut-elle nationale et souveraine, encore moins d’une charte ne peut se prévaloir au-dessus de la Constitution qui détermine la manière dont les pouvoirs s’exercent. Nous nous devons de rappeler ici que la démocratie n’a pas permis seulement d’avoir mis la liberté à la place du despotisme, ou l’égalité à la place de la hiérarchie, bref, d’avoir aboli une société d’ordres. La vraie rupture qu’a entraîné la démocratie est d’avoir mis le multiple à la place de l’unité en vidant le lieu du pouvoir, en abolissant le mythe de l’incarnation du pouvoir dans un homme, le roi, dont l’unité individuelle était censée refléter l’unité organique de la société, la complémentarité harmonieuse entre ceux qui travaillent, ceux qui prient et ceux qui se battent. Mais ce remplacement de l’unité par la multiplicité, par le pluralisme et la différence, ne s’est opéré que de manière lente et progressive, et a rencontré de très fortes résistances. Alors, pourquoi cette volonté guerrière à vouloir retourner en arrière ?
Tout se passe dans notre pays, depuis un moment, comme si des officiers avec leurs officines ont décidé de s’inspirer des régimes autoritaires de temps révolus, pensant que c’est le seul moyen d’obtenir du soutien populaire, pour nous imposer des restrictions à l’espace civique, à la liberté d’expression, à la liberté d’association, au financement des partis politiques, à la notion du multipartisme intégral, à la liberté des médias et à d’autres droits essentiels à la démocratie. Une véritable course vers le fonds que rien ne justifie et qui ne doit aucunement passer.
Et pourtant, ils doivent se résoudre à comprendre, pour de bon, que la démocratie est résiliente ; l’idéal démocratique persistera… Les Maliens veulent se faire entendre, ils exigent des systèmes économiques et sociaux qui fonctionnent pour tout le monde et ils veulent avoir leur mot à dire dans les décisions qui affectent leur vie. Et cela dans des formations politiques et associations de leur choix. Vouloir leur enlever ce droit est une aventure risquée. Chacun, quel que soit son statut, la valeur ou la popularité qu’il s’attribue, doit respecter le choix souverain de chaque malien. En cette période d’incertitude et d’imprévisibilité, nous devons rester fermes dans notre engagement en faveur de la démocratie et des droits de l’homme.
Certes, nous traversons une période difficile, avec toujours des obstacles, des personnes qui, au nom du pouvoir d’Etat « usurpé », mettront des bâtons dans les roues de notre démocratie, de notre justice, de l’égalité des chances entre Maliens. Sans réaction concertée, leurs voix seront de plus en plus fortes.
C’est pourquoi nos efforts doivent être concertés et fondés sur des principes vitaux et des valeurs démocratiques et républicaines, en unissant nos forces et nos intelligences, en cherchant à construire une synergie d’actions, et à avancer.
C’est ensemble que nous ferons le Mali Koura, dans le respect des principes et valeurs républicains, dans l’inclusivité, la co-construction, la vérité sans faux-fuyant et dans la transparence.
Oumar Sy militant de la démocratie
Source : L’Alternance
The post Les partis politiques sont-ils dans l’oeil du cyclone ? appeared first on Bamada.net.
Source: bamada